J’étais tellement mieux sans elle

 

J'étais tellement mieux sans elle

 

Elle est entrée dans ma vie sans que je ne le veuille…. Sans même me prévenir… Sans me laisser une chance de lui claquer la porte au nez….

Elle, c’est Ana.

Une petite peste qui se cache désormais dans ma tête et ne veut plus me quitter. Pourtant ce n’est pas faute d’essayer de lui faire comprendre que je suis bien mieux lorsqu’elle me fiche la paix. Mais elle a décidé de rester là, de s’incruster pour un bon moment et de ne pas m’abandonner aussi facilement.

Vivre avec cette colocataire est un véritable enfer. C’est comme avoir un petit démon enfermé dans mon crâne, qui joue avec moi comme avec une marionnette. Je suis son pantin… La majeure partie du temps, elle tire les ficelles de ma vie, et décide pour moi. Sachant très bien qu’elle me fait souffrir. Que ses choix ne sont pas les bons et qu’ils risquent de m’être fatals si je ne parviens pas à lui résister.

Avant de la rencontrer, j’étais certaine que je ne pourrais m’aimer qu’une fois que j’aurais perdu pas mal de kilos. Je rêvais d’une silhouette fine, genre mannequin au ventre extra plat, que l’on peut voir dans tous les magazines, sur les affiches un peu partout dans la ville, ou à la télé. Je me sentais mal dans ma peau, avec mon bidon gonflé, mes cuisses qui se touchaient et mes bras trop potelés.

Alors j’ai fini par me dire qu’il fallait que je me bouge. Que je devais changer. Et je me suis inscrite dans une salle de sport.

J’y passais un max de temps, à dégouliner sur le tapis de course, à regarder un film pour oublier que je pédalais depuis des plombes, à m’acharner sur les différentes machines disponibles…. J’y prenais goût. Et pour cause, mes efforts payaient ! La balance devenait doucement une bonne copine, que je n’avais plus peur de croiser.

J’écoutais les conseils des autres membres de la salle, qui m’expliquaient comment m’alimenter…. Que je ne devais surtout plus manger de fruits le soir, ni de féculents…. Que la viande rouge était mauvaise pour ma perte de poids…. Qu’il fallait que j’avale de la whey et des pots entiers de fromage blanc…. Que même une salade pouvait détruire tout ce que je faisais, à cause de la vinaigrette qu’elle contient.

Bref….

Tous ces ptits tuyaux se sont gravés en moi, me marquant à jamais…

Une invitation pour Ana…

Ce sont les questions que j’ai pu recevoir sur instagram par la suite, qui m’ont plongé plus loin dans les ténèbres de cette maladie. L’une d’elle revenant en boucle : combien de calories manges-tu par jour?

Je n’en savais rien…

Mais à force que l’on m’en parle, je me suis posé la même question…. J’ai donc commencé à peser tout ce que j’avalais, notant tout au gramme près, même la moindre olive, pour faire la chasse aux calories. Ca ne devait durer qu’un mois. Un tout petit mois. Juste le temps de me faire une idée.

Ana naissant doucement, lorsque le mois toucha à sa fin, cette petite peste m’a soufflé à l’oreille qu’il pourrait être sympa de continuer sur ma lancée. Après tout, grâce à mes calculs de mathématicienne, j’arrivais à bien plus brûler de calories que ce que j’en consommais. Parfait pour ma pote la balance.

Un peu après, le Chéri a dû se faire hospitaliser. Je me retrouvais donc seule à gérer la maison, les gremlins, leurs devoirs, mon travail, mon blog, le sport et mon auto entreprise de l’époque. Je courrais tout le temps, préparant les repas des enfants pour qu’ils puissent manger avec lui à l’hosto, mais aussi ceux de l’Homme qui n’aimait pas ce qu’on lui servait là bas, ainsi que quelques douceurs pour son collègue de chambre.

Nous devions prendre un bus et un tram, pour faire nos allez – retours entre l’hôpital et la maison, ce qui nous faisait rentrer tout juste pour que les nains puissent se doucher et foncer se coucher. Ne me restait plus qu’à faire la vaisselle et sauter à mon tour dans la baignoire.

Ana en a donc profité pour me faire oublier ma faim…

J’étais bien trop fatiguée pour me mettre en cuisine pour moi même…. Je terminais tout ce que j’avais à faire vers 1 ou 2h du matin, ce qui me poussait à n’avaler que quelques bouchées de pas grand chose, pour finir par me mettre au lit. Il m’arrivait même de ne rien manger du tout, préférant refaire une séance de sport plutôt que de perdre mon temps à m’alimenter.

La peste avait bien fait les choses. Elle avait déposé ses valises et commencé à virer mes affaires de ma tête pour les remplacer par les siennes.

Moi, je ne m’en rendais pas compte….

Je ne dormais plus que 4 à 5h, j’absorbais le minimum vital, je bougeais bien trop, mais je me sentais bien. Trop bien. Si forte de réussir à tout contrôler de la sorte… De pouvoir contrôler mon corps, en zappant les cris de mon estomac et en poussant de plus en plus mes limites, au point que la balance s’emballait… Les chiffres diminuaient si vite… Et moi j’étais si fière….

Merci Ana…. Merci petit démon….

Grâce à elle, je ne suis plus normale…. Je ne vis plus…. Je survis….

Elle m’a plongée dans le sombre monde d’Hadès et j’ai beau lutté de toutes mes forces, je n’arrive pas à m’en échapper.

Parfois je pense avoir pris le dessus. Avoir réussi à reprendre les rênes de mon existence. Mais ce n’est qu’illusion… Elle revient de plus belle me gâcher la vie, m’imposant ses raisonnements sans queue ni tête… Me torturant un peu plus chaque fois….

Le plus dur dans tout ça, c’est de se sentir seule…. Seule dans ce combat que je dois mener jour après jour, heure après heure, minute après minute…. Car personne ne peut comprendre ce que je subis…. J’ai beau tenter de l’expliquer, les gens ne peuvent pas comprendre….

Comment le pourraient-ils?

Moi même je sais parfaitement que mes actes sont absurdes… Que tout cela n’est pas normal…. Que j’ai un problème….

Je n’arrive pas à manger << correctement >> si mon entourage ne mange pas en même temps que moi…. Si je dois manger seule, je ne vais avaler qu’une pomme ou un yaourt…. J’ai une peur panique face aux féculents et légumineuses, à tel point que je peux en avoir la nausée…. J’angoisse si je ne mange pas à heures à peut près fixes…. Et si j’ai dépassé ces horaires, je vais m’empêcher d’avaler quoique ce soit hormis du thé, même si j’ai faim… Je ne consomme presque plus de produits du commerce. Je fais tout moi même…. Je galère du coup à trouver ce que je pourrais manger dans un restaurant ou chez des amis…. Et j’en passe….

Tous ces TCA me collent à la peau et ne me quitteront surement plus jamais…. Même si je parviens un jour à virer Ana, je sais qu’elle me laissera en cadeaux des séquelles….

Mais je me bats tout même contre elle. Je lutte. Je vais de mini victoire en mini victoire. Chaque micro pas en avant est important.

D’ailleurs, depuis plus d’un mois, j’ai réussi à abandonner ma montre connectée et à largement diminuer mon activité physique. Terminé mon obsession des kilomètres parcourus dans une journée. Ne plus me forcer à réaliser tel nombre de pas par jour est un immense soulagement. J’ai plus de temps pour moi et je dors plus puisque je ne me lève plus des heures avant la tribu pour m’activer pendant qu’ils pioncent encore. Le revert de la médaille, c’est que désormais mes jambes me portent à peine. Elles sont sans cesse douloureuses et j’ai bien du mal à marcher. Mais je fais avec…. Ou plutôt sans….

Ca reviendra à la normale un jour…. J’espère….

En attendant, je me bats contre Ana… Ma coloc…. Ma peste…. Mon démon…. Ma maladie…. L’anorexie….

Ana, ma coloc qui me pourrit la vie

Ana, ma coloc qui me pourrit la vie

 

2 ans maintenant que j’ai franchi le seuil de la salle de sport…

2 ans que je me suis décidée à perdre du poids…

2 ans que j’ai appris à rééquilibrer mon alimentation…

Je les ai bien dégommés ces foutus kilos en trop. Je l’ai affinée cette silhouette qui me faisait tellement complexer. Je les ai détruites ces poignées d’amour disgracieuses. Et que dire de mes cuisses?! Ces deux jambonneaux qui dès que je marchais, se touchaient au point de m’obliger à porter un legging court sous mes robes, en plein été, pour éviter les irritations.

Je suis fière d’être parvenue à ça. Fière de ne pas avoir abandonné, de ne pas avoir claqué la porte de la salle de sport dès le lendemain de mon inscription. Fière d’avoir réussi à introduire un grand nombre de légumes dans ma cuisine, qui avant n’y mettaient jamais les pieds ou rarement.

 

Seulement comme on dit, il y a le retour de la médaille….

 

Et pour moi il s’agit d’Ana…

Cette saleté de coloc s’est incrustée chez moi sans permission, empoisonnant mon quotidien tout doucement, discrètement. Certaines personnes ont essayé de me mettre en garde, mais moi, je ne la voyais pas. Ou du moins, je ne réalisais pas son petit stratagème.

J’étais heureuse de voir qu’avec elle je parvenais à devenir amie avec Mrs Balance, mon ennemi depuis tant d’années.

Tellement contente de faire du shopping à ses côtés.

Malheureusement, il a bien fallu que je me rende à l’évidence, Ana n’avait qu’une idée en tête, s’infiltrer une bonne fois pour toute dans la mienne pour me diriger et faire de ma vie un enfer.

Sous ses airs de bonne copine se cache en réalité un démon, qui fait des tas de victimes et cause bien des horreurs.

 

Pour preuve, le témoignage << Jamais assez maigre >> de Victoire Maçon Dauxerre, une ex mannequin, qui a décidé de mettre fin à sa carrière après avoir dû s’affamer pour être au << top >> sous les projecteurs, et avoir frôlé la mort.

 

Je suis tombée totalement par hasard sur ce bouquin, qui rien que par sa couverture m’a de suite interpellé.

On y voit une photo d’une jeune femme ( l’auteure ) vêtue de blanc, le regard froid – sans expression, limite sans vie – les joues creusées, le teint pale et les os apparents, qui fait largement écho au titre.

Il ne m’aura fallu que quelques heures pour dévorer ce livre, dans lequel je me suis à de nombreuses fois retrouvée.

Toutes ces fois où elle avait faim, mais qu’elle se contentait du stricte minimum, rusant en avalant du chewing-gum ou du soda pour combler le creux de son estomac. Ces moments où elle n’arrivaient plus à suivre et à marcher à un rythme correct, ralentissant sa famille pendant les balades. Son corps si douloureux. Son humeur qui ressemblait à des montagnes russes. Ses cheveux qu’elle perdait. Sa poitrine qui avait décidé de se faire la malle.

Tout ça je le vis….

Ana est un être atroce qui ne veut qu’une chose, m’empêcher d’être << normale >> et passe son temps à me souffler de sa petite voix des pensées négatives.

Elle ne me laisse pas manger comme il le faudrait… << Pas ça! C’est bien trop gras!>>, << Une seule bouchée de ça et tu vas gonfler illico! >>, << Touche à ça et tu vas le regretter! >>

 

Elle me force à me dépenser sans arrêt, même lorsque mon corps la supplie de mettre un terme à tout ça… << Allez la grosse! Bouge toi! >>, << 15 000 pas aujourd’hui?! C’est tout?! Mais c’est minable ! >>

Elle m’anesthésie le cerveau pour que je ne puisse plus me concentrer et gèle ma mémoire.

Elle ne me laisse plus dormir ou alors juste 4 ou 5h par nuit, histoire de me faire croire qu’elle est sympa.

Elle détruit les muscles que j’étais parvenue à me construire, ruinant ainsi l’agréable image de moi même qui me plaisait tant il y a encore quelques mois.

Maintenant, je ne suis plus qu’une jeune femme fatiguée, comme l’était Victoire, qui tente de se battre comme elle le peut pour virer cette pétasse de coloc.

Ana a fait de moi quelqu’un de fragile, avec une colonne vertébrale aussi voyante que les plaques osseuses d’un stégosaure, des cernes sous les yeux et des cheveux qui tombent par poignées.

A cause d’elle le moindre contact un peu brusque, le plus petit coup de coude ou choc, me donne un hématome qui mettra des jours à disparaître.

Parfois elle me laisse tranquille et je sens mon moral remonter en flèche, mais ce n’est que pour bien me blesser ensuite, en me plongeant en moins d’une minute dans un univers sombre, triste, où tous mes progrès, toutes mes petites victoires sont anéantis, m’enlevant le gout de tout.

 

Mais ce n’est pas grave. Car malgré tout ça, Ana ne m’a pas encore assez affaibli pour que je renonce. Je me bats et comme Victoire, je ne lâcherai pas et je me relèverai la tête haute. Avec des séquelles certes, mais la tête haute tout de même.

Et si toi aussi, ma p’tite cacahuète grillée, tu connais Ana, je ne peux que te conseiller de lire Jamais assez maigre.

Je suis prête à parier que toi aussi, tu te reconnaîtras au travers de ce récit. Toi aussi tu seras chamboulée, émue, touchée, au point de verser quelques larmes, voir de beaux sanglots.

Toi aussi, tu détesteras ceux qui lui ont fait subir tout ça en lui faisant croire qu’Ana était son amie, allant jusqu’à l’applaudir quand ils voyaient qu’elles arrivaient bras dessus bras dessous.

Et finalement, toi aussi tu auras envie de hurler contre cette société qui fait croire aux femmes que la maigreur est une normalité, les obligeant à se faire du mal pour rentrer dans un moule inconcevable.

Pour finir, tu auras surement, tout comme moi, une haine contre ces << grands couturiers >> qui considèrent qu’un top model n’est qu’un cintre…