C’est elle qui m’a changé.
Elle s’est infiltrée en moi sans mon consentement… Devenant cette petite voix tordue qui ne me laisse pas ou peu de répit.
Grillant mes neurones les uns après les autres, à tel point que bien souvent je ne sais plus ce que je fais. Me voici face au frigo sans savoir ce que j’y cherche. Je commence une phrase qui n’aura jamais de fin car j’ai déjà oublié ce que je voulais dire. Je n’arrive plus à me concentrer sur quoique ce soit.
M’obligeant à agir d’une façon qui ne me convient pas. À me dépenser toujours plus, même lorsque je suis à bout. À céder à des pulsions.
Car oui… C’est ça l’anorexie mentale. Un insecte vicieux qui se faufile par une oreille jusqu’à ton cerveau, pour ensuite te contraindre à obéir à des pulsions perverses et dangereuses.
Ce n’est pas par plaisir que je m’active toute la journée, jusqu’à en pleurer de douleur.
Ce n’est pas par caprice que je reste figée devant mon assiette sans pouvoir la terminer. Ou que je tremble rien qu’en tenant certains aliments que j’aimerai réintroduire. Que je redoute de sortir manger au restaurant ou même chez des amis.
C’est à cause d’elle. De lui.
De ce démon qui me souffle des pensées stupides donnant lieu à un comportement anormal. Qui me transforme autant physiquement que mentalement.
Qui me fait dire désormais » Je ne suis pas normale« …
Pourtant, la voix de la raison est bien là. Mon ptit ange perché sur mon épaule s’accroche. Il lutte contre Ana. Il me fait signe quand je me trompe, quand je bascule du mauvais côté.
J’arrive encore de temps en temps à faire la part des choses. Je me rends bien compte que manger 20g de pâtes ce n’est rien comparé aux grosses assiettes que je pouvais ingurgiter avant. Que si j’ai encore faim alors que le reste de la famille est calée et n’a pas besoin de se resservir, c’est tout simplement parce que nous n’avons absolument pas mangé la même chose ( une salade ne valant pas grand chose face à un tas de frites ou de riz).
Je le sais tout ça.
Mais ce démon m’abrutit en me répétant que j’ai tort. Que c’est mal. Que je n’ai pas l’autorisation de goûter à ce morceau de pain qui sent si bon. Ni même de regarder cette crème dessert qui me fait tant envie.
Et bien souvent, voir même tout le temps, mon ange gardien perd la partie contre ce démon qui ne lâche rien.
Mon poids du coup continue à diminuer comme pour devenir aussi léger qu’une plume, pour pouvoir s’envoler loin de moi… Loin de ce corps qui ne ressemble plus à grand chose… Ce corps que je cache car il me fait honte…
Il est si simple de penser qu’il me suffirait de décider de manger pour que tout rentre dans l’ordre. C’est vrai quoi… Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt… Suis-je si bête pour ne pas avoir trouvé la solution toute seule…
Allez…
Aujourd’hui c’est décidé, j’arrête mon caprice et je mange tout ce qui me tombe sous la main… Chocapics, kinders, raclette, pizza, chips, pain…. Rien de bien compliqué… Il suffit que j’avale tout ça pour aller mieux…
A moins qu’en y réfléchissant un peu plus, qu’en regardant de plus près mon démon, on ne comprenne qu’une maladie est tapie dans l’ombre. Que ce comportement qui n’a rien de normal n’est pas un petit jeu qui m’amuse, mais bien une contrainte que je subis et qui me gâche la vie, m’obligeant à me faire soigner.
Une maladie qui ne touche pas qu’à mon alimentation mais aussi à mon corps qui s’efface, à mes os qui souffrent, à mes cheveux qui tombent par poignées…
J’ai de plus en plus de cernes à force de dormir de moins en moins… J’ai des hématomes à chaque légère bousculade dans un rayon de supermarché, ou rien qu’en laissant mes genoux se coller l’un à l’autre lorsque je serre les jambes…
Je finis en larmes rien quand regardant des prospectus de pub, bavant devant toutes ces merveilles qui me sont refusées.
Mais aussi parce que j’ai mal, si mal d’avoir autant bougé dans ma journée. Parfois, de plus en plus, il m’arrive d’être quasiment incapable de faire un pas de plus. Mes chaussures ont l’air d’être en plomb et mes chevilles ne parviennent plus à les soulever. Sans parler de mon sac à main qui d’un coup semble contenir toute une bibliothèque.
Mais hors de question de laisser tomber. Hors de question de me reposer. Ana, ce démon cruel, n’en a pas fini avec moi. Il ne me lâchera qu’une fois qu’il aura totalement gagné… Qu’il aura eu ma peau…
Du coup je tente de me battre… De survivre…